Le sommet de la CEDEAO qui s’est tenu en Côte d’Ivoire pour gérer efficacement la situation au Niger a abouti à un ensemble de décisions qui paraissent assez suicidaires pour l’instance d’intégration régionale pour plusieurs raisons :
1- La jurisprudence des sanctions dans le cas du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée
il est évident que les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et en Guinée sont des contextes différents bien que les raisons puissent converger dans une certaine mesure.
Les observations ont révélé que deux situations ont généralement conduit à des coups d’État : un profond malaise entre les dirigeants et le peuple ou un profond malaise entre les dirigeants (gouvernement) et les forces armées. il se peut qu’on se retrouve dans des cas où il y a une combinaison des deux facteurs.
Dans le cas du Niger, on a surtout affaire à un malaise profond entre le gouvernement et l’armée, même si une manifestation intéressante s’est déroulée plus tard pour exprimer le soutien du peuple aux militaires. dans le cas du Mali, ce fut la combinaison des deux facteurs, les populations ont protesté et se sont plaints avant le premier coup d’État et le deuxième coup d’État a eu lieu à cause du désaccord qui s’est produit entre les dirigeants du premier coup d’État. Le cas du Burkina Faso a suivi pratiquement le même processus.
La CEDEAO par la suite avait décidé de prendre pratiquement les mêmes sanctions que ce qui est fait pour le cas du Niger, isolant les populations du Mali et coupant les flux économiques et commerciaux ainsi que la circulation des personnes et des biens.
les sanctions ont plutôt créé de la résilience des militaires au pouvoir car ils ont attiré plus de sympathie de la part du peuple, pas seulement des maliens, mais d’une partie considérable du peuple Ouest-Africain. Ainsi, le fossé entre la CEDEAO et les peuples s’est creusé du fait du sentiment qu’elle ne sert que l’agenda des chefs d’Etats. Il y a des arguments selon lesquels les sanctions ont porté des fruits, mais les faits sont disponibles pour observation. la Guinée n’a accepté aucune injonction de la CEDEAO de même que le Burkina Faso, tenant à leurs feuilles de route respectifs. Par conséquent, l’effet escompté des sanctions n’a pas été atteint.
2-De l’eau au moulin de la désintégration régionale
juste après la batterie de sanctions de la CEDEAO sur le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, plusieurs autres partenaires ont exprimé leur volonté de vouloir travailler avec les États sous le cours des sanctions. Cette situation a aidé les trois États, exceptionnellement le Mali, à développer une résilience. la perspective d’amorcer un autre processus d’intégration est venue à l’esprit à travers l’idée de construction d’une Fédération suggérée par le Burkina Faso au Mali. Aussi utopique que cela puisse paraître, il est au moins évident que l’intention d’initier un autre processus d’intégration en dehors de la CEDEAO existe.
Lors du récent sommet Russie-Afrique, le président Ibrahim Traoré n’a pas manqué d’exprimer sa conviction en une meilleure collaboration dans la région du Sahel tout en évoquant le dernier développement au Niger. Il est donc clair que les pays dirigés par des régimes militaires en Afrique de l’Ouest et sous sanctions de l’organe régional ont suffisamment de raisons de quitter définitivement la CEDEAO et de construire un organe régional différent afin de résoudre leurs défis communs, cela conduira à une CEDEAO fortement divisée .
3-La menace de recourir à la force est aussi suicidaire que le recours à la force
L’idée d’utiliser la force si les dirigeants militaires actuellement en charge de facto au Niger ne réinstallent pas le président Bazoum dans les 7 prochains jours n’est pas réaliste au vu des récentes déclarations des chefs militaires avertissant tout État ou organisation internationale de ne pas intervenir ou s’immiscer dans les affaires intérieures de leur pays. Si par hasard la CEDEAO décide de recourir à la force une fois que les chefs militaires n’ont pas satisfait à la demande de l’instance régionale, la confrontation fera place à un environnement d’insécurité dramatique sans précédent en Afrique de l’Ouest.
La CEDEAO telle qu’elle se présente aujourd’hui pourrait définitivement ne plus exister. le peuple pourrait garder à l’esprit que l’institution régionale a décidé d’utiliser la force contre le peuple d’un État souverain au lieu de faire exactement la même chose contre les terroristes qui mettent en péril la paix au Sahel et maintenant dans le Golfe de Guinée. Le Mali, le Burkina Faso, et probablement d’autres pourraient être tentés de soutenir les chefs militaires du Niger dans un probable recours à la force du Corps régional.
4- L’évolution de la réponse sécuritaire régionale au Sahel
le principal acteur de la réponse de sécurité régionale fut la France depuis de nombreuses années et la dynamique actuelle met en relief clairement le processus très avancé de changement de stratégie de réponse. La France a été expulsée de presque tous les pays du Sahel en tant qu’acteur principal. Il ne restera plus que le Tchad si le statu quo est confirmé au Niger. Il est clair que la réponse sécuritaire ne sera efficace que si elle est harmonisée. c’est donc assez compréhensible quand le président Ibrahim Traoré parle d’une probable meilleure collaboration dans le traitement de la question sécuritaire au sahel avec le changement de leadership au Niger. Cependant, des discussions sont toujours en cours sur l’efficacité de la nouvelle réponse à la menace sécuritaire dans le Sahel actuellement, bien que les acteurs clés continuent de rassembler les équipements et les renseignements pertinents.
La CEDEAO a raison de penser à des sanctions, cependant, ces dernières devraient être plus constructives que nuisibles. Les sanctions devraient cibler les putschistes plutôt que de punir le peuple nigérien pour les erreurs de ses dirigeants. l’approche diplomatique pourrait être initiée afin d’accompagner la transition vers un leadership civil démocratique. Ainsi un ensemble de diplomates et de dirigeants hautement qualifiés qui répondent aux critères de crédibilité s’avère nécessaire. c’est une option qui prendra du temps évidemment, mais qui sauvera également le processus d’intégration régionale le plus avancé d’Afrique. toute incursion de la force militaire de la CEDEAO au sahel augmentera le niveau de déstabilisation de l’appareil sécuritaire, ce sera une menace que le Mali et le Burkina Faso ne voudront pas laisser passer au nom de la paix au sahel.